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En 2008, Alberto Contador transforme une amère déception en triomphe historique. Exclu du Tour de France avec son équipe Astana, le champion espagnol, déjà vainqueur de la Grande Boucle en 2007, se rabat sur la Vuelta qu’il remporte brillamment. Cette victoire, acquise à 25 ans après des attaques mémorables dans l’Angliru, le consacre comme le plus jeune triple vainqueur des Grands Tours de l’histoire, un exploit majeur qui redéfinit sa carrière et marque l’histoire du cyclisme espagnol.
L’affront : comment le champion du Tour fut banni de la défense de son titre
Le 13 février 2008, l’ASO (Amaury Sport Organisation) provoque un séisme dans le monde du cyclisme. L’organisateur du Tour de France annonce l’exclusion de l’équipe Astana de toutes ses épreuves, y compris le Tour 2008. Une décision qui choque d’autant plus que cette formation compte dans ses rangs Alberto Contador, vainqueur sortant de la Grande Boucle.
L’exclusion s’appuie sur le passif trouble d’Astana. En 2007, l’équipe avait été marquée par les contrôles positifs d’Alexandre Vinokourov et Andrey Kashechkin. Pourtant, depuis, l’équipe a fait peau neuve sous la direction de Johan Bruyneel, ancien mentor de Lance Armstrong, avec de nouveaux coureurs dont Contador.
« C’est une tragédie que le champion en titre ne puisse pas défendre son maillot jaune », s’insurge Pat McQuaid, président de l’UCI. « Cette décision unilatérale d’ASO est préjudiciable pour le cyclisme. Contador n’a rien à voir avec les problèmes passés d’Astana. »
Les coulisses d’une décision controversée qui ébranla le cyclisme
Pour Christian Prudhomme, directeur du Tour, cette exclusion s’inscrit dans une volonté de restaurer la crédibilité de l’épreuve. « Nous avons tiré les leçons du passé », justifie-t-il alors. « Nous ne pouvions pas faire confiance à Astana. L’histoire nous a donné raison en 2007. »
La nouvelle frappe Contador comme un coup de massue. « Je n’ai jamais pensé qu’il serait possible de ne pas faire le Tour. C’est ma course, ma vie, » confie-t-il, visiblement ému. À 25 ans, le grimpeur madrilène se retrouve privé de l’événement phare de la saison, celui-là même qu’il a conquis l’année précédente.
Cette exclusion reflète aussi les tensions entre l’ASO et l’UCI, en pleine guerre des pouvoirs. L’équipe Astana devient malgré elle un pion dans ce conflit plus large. Une situation que Johan Bruyneel, directeur sportif d’Astana, résume avec amertume : « Les organisateurs qui ne veulent pas de nous se punissent eux-mêmes et dévalorisent leur propre course. »
La renaissance : des routes italiennes aux montagnes espagnoles
Face à ce revers, Contador et Astana réorientent leur saison. Le Giro d’Italia, habituellement absent du programme du Madrilène, devient subitement un objectif. Convoqué à la dernière minute, il s’aligne au départ le 10 mai 2008 sans préparation spécifique.
Malgré ce handicap initial, Contador réalise l’impensable. Il domine la course italienne et s’impose le 1er juin à Milan, remportant son deuxième Grand Tour. Cette victoire, acquise presque par défaut, démontre sa classe exceptionnelle et sa capacité d’adaptation.
« Le Giro n’était pas prévu. J’y suis allé sans préparation, avec seulement une semaine pour m’organiser, » explique-t-il après sa victoire. « Cette victoire a une saveur particulière, car elle est née de l’adversité. »
Le Giro improvisé, première étape d’une quête historique
Pendant qu’Alberto savoure son triomphe inattendu en Italie, le Tour de France se déroule sans lui. C’est l’Espagnol Carlos Sastre qui s’impose à Paris, profitant notamment de l’absence du vainqueur sortant. Pour Contador, cette victoire d’un compatriote est doublement amère.
Loin de se décourager, il fixe son regard vers la Vuelta a España. Une course qu’il connaît bien pour l’avoir disputée en début de carrière, mais jamais en tant que leader. Cette fois, c’est différent. Il arrive au départ de Grenade le 30 août avec un objectif clair : remporter sa course nationale.
L’enjeu est historique. Une victoire à la Vuelta lui permettrait non seulement de répondre à l’affront du Tour, mais aussi de devenir le cinquième coureur de l’histoire à remporter les trois Grands Tours, après Jacques Anquetil, Felice Gimondi, Eddy Merckx et Bernard Hinault. Plus impressionnant encore : il serait le premier Espagnol à réaliser cet exploit et le plus jeune de l’histoire.
Le duel de l’Angliru : quand Contador écrivit sa légende
Le 13 septembre 2008, la Vuelta arrive au pied de l’Alto de El Angliru pour sa 13e étape. Ce monstre asturien, avec ses rampes atteignant 23,5% de pente, est considéré comme l’un des cols les plus difficiles d’Europe. C’est ici que Contador a choisi d’écrire son histoire.
Au départ de l’étape, l’Américain Levi Leipheimer, son propre coéquipier chez Astana, porte le maillot or de leader. Carlos Sastre, récent vainqueur du Tour, est lui aussi dans la course. La bataille s’annonce épique entre les trois hommes.
Dans les premières pentes de l’Angliru, Contador place une attaque foudroyante à plus de 50 kilomètres de l’arrivée. Personne ne peut suivre. Sastre tente de s’accrocher mais doit rapidement céder face à la puissance du Madrilène.
23,5% de pente, 100% de détermination
« Ce maillot or vaut autant qu’un maillot jaune. J’avais une rage intérieure depuis l’annonce de l’exclusion du Tour. Aujourd’hui, j’ai transformé cette colère en force dans mes jambes, » confie Contador après avoir franchi la ligne d’arrivée en vainqueur ce jour-là.
L’Angliru devient le théâtre de sa renaissance. Dans les passages les plus pentus, là où la route se redresse à plus de 20%, Contador semble voler quand les autres souffrent. Sa victoire d’étape s’accompagne de la prise du maillot or. La symbolique est forte : sur les pentes les plus redoutables d’Espagne, le champion banni du Tour reprend son destin en main.
Carlos Sastre, pourtant aguerri en haute montagne, reconnaît sa supériorité : « Alberto a été implacable. Sur l’Angliru, il a montré qu’il était un niveau au-dessus. C’est une leçon de cyclisme qu’il nous a donnée aujourd’hui. »
Avec cette démonstration, Contador ne se contente pas de prendre le maillot de leader. Il marque les esprits et pose les bases d’un style de course qui deviendra sa marque de fabrique : des attaques tranchantes en montagne, à distance de l’arrivée, quand personne ne s’y attend.
Tensions en interne : le mystère du contre-la-montre final
L’étape 20 de la Vuelta 2008 propose un contre-la-montre décisif de 17,1 kilomètres à Navacerrada. Contador aborde cette avant-dernière journée avec le maillot or sur les épaules et une avance confortable sur ses rivaux. Mais c’est au sein même de son équipe que va surgir une inattendue source de tension.
Levi Leipheimer, son coéquipier et dauphin au classement général, réalise une performance exceptionnelle. L’Américain remporte l’étape avec brio, reprenant 31 secondes à Contador. Certes, l’Espagnol conserve son maillot de leader, mais cet épisode révèle des ambitions contradictoires au sein même d’Astana.
« Je savais que l’équipe soutenait Alberto, mais j’ai couru à ma manière dans le chrono, » explique Leipheimer après sa victoire d’étape. Des propos qui confirment une tension latente, presque une rivalité, entre les deux hommes.
Leipheimer vs Contador : rivalité sous le même maillot
Pour comprendre cette situation, il faut remonter à l’arrivée de Contador chez Astana. Leipheimer, présent dans l’équipe avant lui, avait ses propres ambitions. De plus, l’arrivée annoncée de Lance Armstrong pour 2009 préfigure déjà des luttes intestines pour le leadership.
Johan Bruyneel, directeur sportif de l’équipe, se retrouve dans une position délicate. Il doit gérer ces égos tout en maintenant la cohésion d’équipe. « Nous avons deux coureurs exceptionnels, » déclare-t-il prudemment. « Levi a fait une course remarquable, mais notre stratégie était claire depuis le début : soutenir Alberto. »
Malgré cette victoire d’étape de Leipheimer, Contador conserve la tête du classement général avec 46 secondes d’avance. Un écart suffisant pour aborder sereinement la dernière étape vers Madrid, traditionnellement une parade pour le vainqueur.
Cet épisode préfigure les tensions qui marqueront l’année suivante chez Astana, avec le retour de Lance Armstrong et la création de factions au sein même de l’équipe. Pour l’heure, c’est Contador qui triomphe, mais ces divisions intestines laisseront des traces.
Un record pour l’éternité : le plus jeune triple vainqueur
Le 21 septembre 2008, Alberto Contador franchit la ligne d’arrivée sur le Paseo de la Castellana à Madrid, scellant définitivement sa victoire dans la Vuelta. À 25 ans et 9 mois, il devient le plus jeune coureur de l’histoire à remporter les trois Grands Tours du cyclisme.
L’exploit est colossal : en 15 mois seulement, entre juillet 2007 et septembre 2008, Contador a conquis le Tour de France (2007), le Giro d’Italia (mai 2008) et la Vuelta (septembre 2008). Une séquence fulgurante qui témoigne d’une précocité et d’un talent hors norme.
« Remporter trois Grands Tours en si peu de temps est très spécial, mais je ne le réalise pas encore, » confie-t-il sur le podium madrilène. « Ce furent trois courses très différentes. En Espagne, j’ai pu rouler sur mes propres routes et être encouragé par mes supporters. »
Dans le club fermé des légendes cyclistes à 25 ans
Avec ce triplé, Contador rejoint un club très fermé. Avant lui, seuls quatre coureurs avaient réussi à remporter les trois Grands Tours au cours de leur carrière : Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Felice Gimondi et Bernard Hinault. Des légendes absolues du cyclisme, que Contador égale à un âge où la plupart des champions commencent à peine à s’affirmer.
Il devient également le premier Espagnol à réaliser cet exploit. Après l’ère Miguel Indurain, dominateur du Tour mais jamais vainqueur de la Vuelta, l’Espagne trouve en Contador un champion complet, capable de briller sur tous les terrains et toutes les courses.
Johan Bruyneel, son directeur sportif, ne cache pas sa fierté : « Nous avons prouvé que nous sommes la meilleure équipe pour les grands tours. Ce n’est pas juste une revanche contre le Tour, c’est une démonstration de notre valeur sportive. Alberto est entré dans l’histoire aujourd’hui. »
La presse internationale s’enflamme. L’Équipe titre : « Contador entre dans la légende malgré les tempêtes », tandis que Marca en Espagne parle de « El Pistolero triple couronne », faisant référence au geste de victoire caractéristique de Contador (mimant un pistolet).
L’héritage d’un style unique qui révolutionna le cyclisme montagnard
Au-delà du palmarès, c’est par son style de course que Contador marque le cyclisme. Sa Vuelta 2008 révèle aux yeux du monde un coureur offensif, capable d’attaques tranchantes en montagne, loin des arrivées, quand la route se redresse le plus.
Avec cette victoire, il popularise un cyclisme d’attaquant qui tranche avec les années précédentes, où le contrôle et la gestion prévalaient souvent. Ses démarrages explosifs, ces fameux « contadorades », deviendront sa signature et inspireront toute une génération de grimpeurs.
« Alberto a complètement changé notre façon d’aborder les cols, » expliquera plus tard Vincenzo Nibali, autre vainqueur des trois Grands Tours. « Il a prouvé qu’on pouvait attaquer de loin et tenir jusqu’au bout. C’était rafraîchissant dans un cyclisme parfois trop calculé. »
Le triomphe de la résilience face à l’exclusion
Plus profondément, cette Vuelta 2008 symbolise la capacité de Contador à transformer l’adversité en opportunité. Exclu injustement du Tour (puisqu’il n’était pas impliqué dans les affaires de dopage d’Astana), il aurait pu sombrer. Au lieu de cela, il a rebondi en remportant deux Grands Tours la même année.
Cette faculté de résilience deviendra une constante dans sa carrière. En 2010-2012, suspendu pour un contrôle positif au clenbutérol qu’il attribuera à une contamination alimentaire, il reviendra encore plus fort pour remporter la Vuelta 2012 avec une attaque légendaire à Fuente Dé.
Son influence sur la course espagnole est également indéniable. Avant lui, la Vuelta était souvent considérée comme le petit frère des Grands Tours. Grâce à des champions comme Contador qui en font un objectif majeur, elle gagne en prestige et en visibilité internationale.
Sa carrière sera émaillée de controverses, notamment avec sa suspension en 2010-2012, mais son impact sur le cyclisme demeure considérable. Contador a redéfini ce qu’un grimpeur pouvait accomplir, inspirant des coureurs comme Freddy Maertens dans leur approche de la compétition.
Une place dans la lignée des champions qui ont défié les conventions
La trajectoire de Contador s’inscrit dans une longue tradition de champions qui ont dû surmonter l’adversité pour entrer dans la légende. À bien des égards, son parcours en 2008 rappelle celui de Julián Berrendero, qui domina la Vuelta 1941 après 18 mois d’emprisonnement dans un camp franquiste.
Sa rivalité avec Lance Armstrong, qui explosera au grand jour sur le Tour 2009, évoque le duel mythique Anquetil-Poulidor de 1964. Comme Anquetil, Contador est un calculateur capable d’explosivité. Comme Poulidor, il sait faire face à l’adversité.
Il est aussi le précurseur d’une nouvelle génération de coureurs espagnols complets, ouvrant la voie à des talents comme Enric Mas ou Juan Ayuso. Son triplé a montré qu’un Espagnol pouvait briller au-delà des frontières nationales et des routes espagnoles.
L’empreinte d’un champion sur la décennie cycliste
Jusqu’à l’émergence de Chris Froome, Contador restera la référence absolue dans les grands tours. Entre 2007 et 2015, il remportera sept Grands Tours (avant déclassements), dont deux Tours de France (2007, 2009), deux Giros (2008, 2015) et trois Vueltas (2008, 2012, 2014).
Sa rivalité avec Andy Schleck sur le Tour marquera la fin des années 2000, tandis que ses duels avec Froome définiront le début des années 2010. Rares sont les coureurs qui auront ainsi traversé et marqué deux époques distinctes du cyclisme moderne.
Quand il raccroche le vélo en 2017, Contador laisse l’image d’un coureur d’exception, dont le style agressif et les qualités de grimpeur-rouleur ont redéfini les standards de performance dans les grands tours. Sa marque distinctive — le « pistolero » — symbolise parfaitement sa capacité à frapper fort et soudainement.
Aujourd’hui encore, quand on évoque les plus grands champions des grands tours, le nom de Contador figure invariablement dans les discussions. Sa Vuelta 2008, remportée en réponse à une exclusion injuste, reste l’un des plus beaux exemples de résilience dans l’histoire du cyclisme.
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