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En 1981, le cyclisme mondial assiste à une renaissance spectaculaire. Freddy Maertens, ce champion belge tombé dans l’oubli après des années d’enfer personnel, réalise l’un des plus extraordinaires comebacks de l’histoire du vélo. Cinq victoires d’étapes et le maillot vert du Tour de France : le phénix flamand renaît de ses cendres à 29 ans, rappelant au monde entier que la Belgique reste la terre des grands sprinteurs.
Le champion déchu : comment Maertens a tout perdu après 1977
Pour comprendre l’ampleur du miracle de 1981, il faut revenir quelques années en arrière. Freddy Maertens connaît une ascension fulgurante au milieu des années 70. En 1976, il est au sommet : 8 étapes sur le Tour de France, maillot vert et arc-en-ciel de champion du monde à Ostuni. L’année suivante, il pulvérise tous les records avec 53 victoires, un chiffre qui reste inégalé dans l’histoire du cyclisme.
Mais le rêve vire au cauchemar. Des investissements hasardeux dans l’immobilier et une gestion catastrophique de ses finances le précipitent dans un gouffre financier. Les dettes s’accumulent, le fisc belge le traque. René Jacobs, son biographe, rapporte dans Freddy Maertens: De val en de wederopstanding (1982) que ses problèmes étaient si graves qu’il mettra plus de 20 ans à éponger ses dettes fiscales.
Alcool, dettes et désespoir : la traversée du désert
Entre 1978 et 1980, Maertens sombre dans une spirale infernale. L’alcool devient son refuge, les performances s’effondrent. Il abandonne régulièrement après seulement 100 kilomètres de course. Les directeurs sportifs se l’arrachent encore pour son nom, mais plus pour ses résultats.
« Son équipe le licenciait et d’autres le recrutaient pour le cachet publicitaire. Freddy oubliait souvent de se rendre aux courses », écrivait le journaliste Olivier Dazat. Les observateurs le considèrent comme fini, une étoile filante qui s’est consumée trop vite.
La presse belge, cruellement lucide, parle déjà de lui au passé. Le champion qui avait fait rêver tout un pays n’est plus qu’une ombre, errant dans un peloton où Bernard Hinault impose désormais sa loi. L’époque post-Merckx cherche désespérément un nouveau héros national, mais Maertens semble avoir définitivement abdiqué.
« Comme un phénix qui renaît… » : l’incroyable Tour 1981
Juin 1981. Maertens se présente au départ du Tour de France sans que personne ne le considère comme un prétendant sérieux, même pour des victoires d’étapes. À 29 ans, il fait presque figure de vétéran à une époque où les carrières sont plus courtes qu’aujourd’hui. La seule raison de sa présence : son équipe Boule d’Or-Sunair a besoin d’un nom pour attirer l’attention.
La stupéfaction du premier succès : « Personne n’y croyait »
Le 25 juin 1981, première demi-étape du Tour (Nice-Nice). Le peloton ne se méfie pas quand Maertens se positionne pour le sprint. Grave erreur. Avec une puissance retrouvée, il s’impose devant les favoris. « Maertens renaît de ses cendres » titre L’Équipe le lendemain, aussi stupéfait que le reste du monde cycliste.
Cette victoire n’est pas un feu de paille. Deux jours plus tard, il récidive lors de la 3ème étape à Narbonne. Le doute n’est plus permis : Freddy Maertens est de retour. « Je n’avais plus rien à perdre en 1981. Soit je réussissais mon retour, soit ma carrière était terminée », confiera-t-il plus tard.
Le Tour se poursuit et Maertens continue d’impressionner. Le 4 juillet, c’est l’étape Roubaix-Bruxelles qu’il remporte après 241 kilomètres de course. Une victoire symbolique en terre belge qui ravive la fierté nationale. La Belgique cycliste, orpheline des exploits d’Eddy Merckx, retrouve un champion à célébrer.
Les « Three Musketeers » : la résurrection d’une tactique oubliée
Si Maertens brille à nouveau, c’est aussi grâce à une stratégie d’équipe parfaitement huilée. Avec Michel Pollentier et Marc Demeyer, il forme un trio surnommé les « Trois Mousquetaires », une référence au célèbre roman d’Alexandre Dumas mais aussi un clin d’œil à la tactique employée par Rik Van Looy dans les années 60.
« Nous formions les Trois Mousquetaires, clé de son succès en sprint », expliquait Michel Pollentier. Cette alliance stratégique consistait à créer un « train » en tête du peloton pour placer idéalement Maertens dans les derniers kilomètres. Une tactique qui a littéralement révolutionné l’approche des sprints dans le cyclisme professionnel.
L’art du sprint à la belge : comment Maertens écrasait la concurrence
Le style de Maertens est unique. Contrairement aux sprinteurs purs, il possède une endurance remarquable qui lui permet de rester frais après 200 kilomètres de course. Sa position basse sur le vélo, ses épaules larges et son coup de pédale puissant en font une machine à gagner dans les derniers mètres.
Le matériel joue aussi un rôle. En 1981, les vélos en acier règnent encore, avec des cadres Reynolds 531 qui pèsent bien plus lourd que les machines carbone d’aujourd’hui. Maertens compense ce poids par une puissance phénoménale dans les jambes. Ses développements sont plus importants que la moyenne : il utilise souvent un 53×12, quand beaucoup de ses rivaux se contentent d’un 52×13.
Le 7 juillet, il remporte sa quatrième victoire lors de la 12ème demi-étape. Deux jours plus tard, le 9 juillet, il s’impose une cinquième fois lors de la 13ème étape. Le maillot vert est désormais solidement accroché à ses épaules, avec une avance considérable sur ses poursuivants.
Du Tour au maillot arc-en-ciel : le miracle de Prague
Le 11 juillet 1981, sur les Champs-Élysées, Maertens termine son Tour en apothéose. S’il ne parvient pas à remporter cette dernière étape, il peut savourer son triomphe au classement par points avec 291 points, soit 64 points d’avance sur son dauphin. Un écart qui témoigne de sa domination écrasante dans les arrivées massives.
« Ce Tour de France était le dernier de ma carrière. J’ai été cycliste pendant 13 saisons. J’ai honoré mes contrats. Je suis désolé de ne pas avoir pu terminer cette dernière étape en beauté », déclare-t-il après l’arrivée, faisant référence à sa défaite sur les Champs-Élysées.
Ces paroles pourraient laisser croire à une fin mélancolique. Mais le destin réserve encore une surprise à Freddy Maertens.
L’apothéose inattendue : champion du monde à 29 ans
Quelques semaines après le Tour, le 30 août 1981, se déroulent les championnats du monde sur route à Prague, en Tchécoslovaquie. Maertens y participe sans grandes illusions, dans une équipe belge divisée où personne ne semble prêt à rouler pour lui.
« Personne ne pensait que je pouvais gagner. Je n’oublierai jamais que lors de la réunion d’équipe la veille, ils ont demandé quels coureurs pensaient pouvoir gagner et j’ai levé la main. Mais quand ils ont demandé qui roulerait pour moi, il n’y avait personne », racontera-t-il plus tard.
Pourtant, l’impensable se produit. Au terme d’une course tactique parfaite, Maertens s’impose devant Giuseppe Saronni et même Bernard Hinault, le dominateur du Tour quelques semaines plus tôt. Cinq ans après son premier titre mondial, il enfile à nouveau le maillot arc-en-ciel, parachevant ainsi l’une des plus belles histoires de rédemption de l’histoire du cyclisme.
L’héritage d’une renaissance éphémère
La résurrection de Maertens en 1981 marque profondément le cyclisme. Bernard Hinault lui-même reconnaîtra : « Freddy était un sprinter exceptionnel, mais aussi un coureur complet. Sa performance en 1981, avec 5 victoires d’étapes et le maillot vert, était remarquable, surtout après ses années difficiles. »
L’historien du cyclisme Graeme Fife résume parfaitement ce comeback dans son ouvrage Tour de France: The History, The Legend, The Riders (1999) : « La performance de Maertens au Tour 1981 témoigne de la nature imprévisible du cyclisme, où les champions peuvent tomber et se relever en un clin d’œil. »
Pourquoi Maertens reste une légende malgré l’éclipse qui suivit
Le miracle de 1981 ne se reproduira pas. Après cette saison exceptionnelle, Maertens retombe progressivement dans ses travers. Les problèmes financiers persistent, l’alcool reprend le dessus. Entre 1982 et sa retraite définitive en 1987, il ne connaîtra plus de grands succès.
Pourtant, son influence sur le cyclisme belge et mondial reste considérable. Sa technique de sprint a inspiré toute une génération de coureurs, de Eric Vanderaerden à Tom Boonen. Après l’ère Merckx, dominée par un coureur complet capable de gagner partout, Maertens a recentré l’identité cycliste belge autour du sprint et des classiques.
La tactique des « Trois Mousquetaires » a révolutionné l’approche des arrivées massives. De la Quick-Step de Patrick Lefevere aux équipes actuelles, tous les trains de sprinters modernes doivent quelque chose à cette innovation belge des années 70-80.
Mais l’héritage le plus durable de Freddy Maertens est peut-être ailleurs : dans cette capacité à se relever après la chute. Son histoire reste une source d’inspiration pour tous les champions en difficulté, rappelant qu’une carrière n’est jamais terminée tant qu’on garde la foi.
Entre les duels mythiques d’Anquetil-Poulidor et l’ère des équipes ultra-structurées d’aujourd’hui, l’épopée de Maertens en 1981 nous rappelle que le cyclisme est avant tout une histoire d’hommes, avec leurs faiblesses et leur grandeur. Dans un sport où l’on célèbre souvent la domination sans partage, son parcours chaotique nous touche peut-être davantage par son humanité profonde.
Un champion déchu qui se relève une dernière fois pour entrer dans la légende : n’est-ce pas là l’essence même de ce qui fait vibrer les passionnés de cyclisme ?
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