Le jour où la Belgique a pleuré de joie : comment Evenepoel a ramené son pays au sommet des Grands Tours

En 2022, Remco Evenepoel a écrit l’une des plus belles pages du cyclisme belge en remportant la Vuelta a España à seulement 22 ans. Cette victoire historique a mis fin à 44 ans d’attente pour la Belgique, qui n’avait plus célébré de vainqueur dans un Grand Tour depuis Johan De Muynck au Giro 1978. Entre démonstrations chronométrées époustouflantes et gestion tactique parfaite, le jeune prodige a marqué l’histoire du sport par sa maturité exceptionnelle.

L’impossible quête belge : 44 ans d’attente et de désillusions

19 août 2022, Utrecht. Le peloton de la 77ème Vuelta s’élance des Pays-Bas pour trois semaines de course. Parmi les favoris, un jeune Belge de 22 ans porte sur ses épaules les espoirs d’une nation entière, affamée de succès dans les grands tours.

Depuis la victoire de Johan De Muynck au Giro 1978, la Belgique, pourtant terre de cyclisme par excellence, n’avait plus connu les honneurs d’un Grand Tour. Une disette interminable pour le pays d’Eddy Merckx, qui avait dû se contenter de victoires dans les classiques et de succès d’étape.

« Pendant près d’un demi-siècle, nous avons espéré un successeur à De Muynck. Tant de talents nous ont fait rêver avant d’échouer », confie José De Cauwer, voix emblématique du cyclisme belge sur la RTBF, les larmes aux yeux après l’arrivée triomphale à Madrid.

De Van Impe à Evenepoel : pourquoi tant d’années sans victoire ?

La spécialisation progressive du cyclisme explique en partie cette longue traversée du désert. Si Claude Criquielion, Frank Vandenbroucke ou Tom Boonen ont brillé dans les classiques, les grands tours exigeaient des qualités plus complètes que les routes belges ne semblaient plus façonner.

Les équipes belges elles-mêmes avaient renoncé à former des leaders pour les grands tours, préférant se concentrer sur les terrains de prédilection traditionnels : les pavés flamands et les classiques ardennaises. Quick-Step, l’équipe d’Evenepoel, était d’ailleurs surnommée « l’équipe des classiques » par excellence.

« Notre cyclisme s’était résigné à dominer les classiques et à jouer les seconds rôles dans les grands tours », explique Patrick Lefevere, manager historique de Quick-Step. « Jusqu’à ce que Remco arrive et chamboule tous nos plans. Dès 2019, j’ai dit que ce gamin gagnerait un Grand Tour avant ses 23 ans. On m’a pris pour un fou. »

Le jeune footballeur qui a brisé la malédiction cycliste

L’histoire de Remco Evenepoel est celle d’une reconversion exceptionnelle. À 16 ans, ce gardien de but prometteur des équipes de jeunes d’Anderlecht et de la sélection nationale belge décide de troquer le ballon contre le vélo. Une décision qui paraissait alors insensée.

Deux ans plus tard, il remporte coup sur coup les titres de champion du monde junior sur route et en contre-la-montre. L’année suivante, à seulement 19 ans, il devient le plus jeune vainqueur d’une classique WorldTour en s’imposant à San Sebastián, confirmant qu’un talent hors norme était né.

« Ce qui est fascinant chez Remco, c’est sa capacité d’apprentissage », souligne Johan Museeuw, légende du cyclisme belge. « Il a compressé en quelques années ce que d’autres mettent une décennie à assimiler. Son passé de footballeur lui a donné un mental d’acier et une vision tactique différente. »

L’énigme Evenepoel : comment un ancien gardien de but a écrit l’histoire du cyclisme

Le coup d’arrêt survient pourtant en août 2020. Lors du Tour de Lombardie, Evenepoel chute lourdement dans un ravin, se fracturant le bassin. Pour beaucoup, cette blessure terrible marque un tournant : le jeune prodige reviendra-t-il au même niveau ?

« Quand il s’est écrasé en Lombardie, j’ai cru à la fin de son rêve », avoue Patrick Lefevere. « Aujourd’hui, je comprends que cette chute l’a transformé en champion. Elle lui a appris la patience, la résilience, et surtout à écouter son corps. »

Sa préparation pour la Vuelta 2022 est méticuleuse. Six mois d’entraînement en altitude à Sierra Nevada, un régime alimentaire optimisé à 6500 kcal/jour, et un choix stratégique fort : faire l’impasse sur le Tour de France pour mieux cibler la Vuelta.

« La stratégie du ‘zapping’ a payé », confirme José De Cauwer. « Evenepoel est arrivé frais mentalement, avec un pic de forme parfaitement calculé. C’est la stratégie que suivaient les champions comme Indurain : se concentrer sur un objectif précis plutôt que de disperser ses forces. »

Les 21 jours qui ont changé le cyclisme belge à jamais

Dès le contre-la-montre par équipes inaugural à Utrecht, Evenepoel montre qu’il est venu pour gagner. Lors de la 4ème étape à Laguardia, il prend la tête du classement général et enfile le maillot rouge de leader qu’il ne quittera plus jusqu’à Madrid.

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Le 30 août 2022 marque un tournant décisif. Lors du contre-la-montre individuel de l’étape 10 à Alicante (31,1 km), Evenepoel écrase la concurrence avec une démonstration de puissance. Il relègue son principal rival, le triple tenant du titre Primož Roglič, à 48 secondes.

« Ce contre-la-montre a scellé le destin de la Vuelta », analyse PEZ Cycling News. « Evenepoel a montré une maturité tactique exceptionnelle pour son âge, roulant à une vitesse moyenne hallucinante de 53,2 km/h avec une puissance estimée à 6,8 W/kg. »

Le moment charnière : quand Roglič est tombé et que l’histoire a basculé

Le 7 septembre 2022, coup de théâtre : Primož Roglič, qui tentait désespérément de combler son retard, chute violemment à 100 mètres de l’arrivée de la 16ème étape. Le lendemain, le Slovène ne prend pas le départ. La voie semble dégagée pour Evenepoel.

Mais le jeune Belge ne se contente pas de gérer son avance. Le 8 septembre, il remporte en solitaire l’étape reine au sommet de l’Alto de Piornal, consolidant définitivement son maillot rouge. À l’arrivée, l’émotion est palpable : Evenepoel fond en larmes, conscient qu’il touche à l’histoire.

« J’ai tout tenté sur chaque montée, mais il avait toujours la réponse », reconnaît Enric Mas, son dauphin au classement général. « Quand Remco attaque comme ça, on ne peut qu’admirer. Il réécrit ce qui est possible à 22 ans. Je n’ai pas de regrets, il était simplement imbattable. »

Le dernier jour de course est symbolique à plusieurs titres. Tandis qu’Evenepoel s’apprête à concrétiser son exploit, la légende espagnole Alejandro Valverde dispute sa dernière Vuelta avant la retraite, passant symboliquement le flambeau à la nouvelle génération.

Madrid, 11 septembre 2022 : les larmes d’un pays entier

L’ultime étape à Madrid n’est qu’une formalité. Remco Evenepoel franchit la ligne d’arrivée avec 2’02 » d’avance sur Enric Mas et 4’57 » sur le jeune espagnol Juan Ayuso, complétant un podium symbole de la nouvelle génération du cyclisme mondial.

Sur le podium, les émotions sont à leur comble. Evenepoel reçoit le trophée de la Vuelta des mains de Johan De Muynck, dernier Belge vainqueur d’un Grand Tour avant lui. Un passage de témoin entre deux époques, deux générations du cyclisme belge.

« Remco a enfin libéré la Belgique du poids de 1978. Son nom appartient désormais à l’histoire », déclare De Muynck, visiblement ému de voir enfin un successeur.

Dans les rues de Bruxelles : scènes inédites de liesse depuis 1978

À Bruxelles, Anvers et dans toute la Belgique, la liesse est totale. Plus de 150 000 Belges s’étaient déplacés à Madrid, tandis que les audiences télévisées battaient tous les records avec 82% de parts de marché en Flandre.

« C’est notre Maradona 1986. Un moment qui transcende le sport », s’enthousiasme Johan Museeuw dans les colonnes de L’Équipe. Les ventes de vélos connaissent une hausse immédiate de 15% dans les semaines suivant cette victoire historique.

Dans son discours sur le podium, Evenepoel offre un moment d’émotion pure : « C’est un moment historique pour mon équipe, pour mon pays et pour moi. Personne ne pourra me l’enlever. Les émotions sont encore intenses. Je ne peux pas décrire ce que signifie remporter mon premier Grand Tour. J’ai travaillé dur et fait beaucoup de sacrifices, alors je suis très heureux que tout ait porté ses fruits ici en Espagne. C’est pour tous ceux qui ont cru en moi après ma chute en Lombardie. »

Une nouvelle ère cycliste propulsée par les chronomètres

La victoire d’Evenepoel à la Vuelta 2022 n’est pas seulement une fin heureuse à une longue attente belge. Elle marque également le retour en force des spécialistes du contre-la-montre dans les grands tours, après une période largement dominée par les grimpeurs purs.

Avec 53 kilomètres de contre-la-montre au total, le parcours de cette Vuelta a permis à Evenepoel d’exploiter son atout majeur. L’analyse des données de course montre qu’il a bâti 61% de son avance dans les chronos, tout en limitant ses pertes en montagne à seulement 42 secondes sur l’ensemble de la course.

« Cette victoire réinstaure l’équilibre entre les différentes qualités nécessaires pour gagner un Grand Tour », analyse Patrick Lefevere. « Dans les années 2010, les parcours favorisaient trop les purs grimpeurs. Remco prouve qu’un coureur complet, dominant en contre-la-montre et solide en montagne, peut à nouveau s’imposer. »

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La belgitude retrouvée entre Flandre et Ardennes

Historiquement, le cyclisme belge était divisé entre deux écoles : les flandriens, puissants sur le plat et les pavés, et les ardennais, plus à l’aise sur les terrains vallonnés. Evenepoel réconcilie ces deux traditions en présentant un profil hybride, combinant puissance et résistance.

« Il a réconcilié deux écoles belges : les flandriens purs et les grimpeurs des Ardennes », note le Miroir du Cyclisme dans son dossier rétrospectif d’octobre 2022. Son style est décrit comme une hybridation entre la puissance d’Eddy Merckx et la maîtrise chronométrée de Miguel Indurain.

Cette polyvalence annonce un renouveau pour le cyclisme belge, longtemps cantonné aux classiques. Les investissements suivent : Quick-Step a créé un « Project Grand Tour » doté de 2,3 millions d’euros annuels pour développer cette nouvelle ambition.

L’héritage d’une victoire qui transcende le sport

Plus de deux ans après ce triomphe, l’impact de la victoire d’Evenepoel continue de se faire sentir. Les jeunes talents belges comme Cian Uijtdebroeks (19 ans en 2024) citent explicitement Evenepoel comme « la preuve qu’on peut briller jeune » et s’inspirent de son parcours atypique.

La formation des jeunes cyclistes en Belgique a évolué, avec une attention accrue au développement des capacités en contre-la-montre. Les écoles de cyclisme intègrent désormais des modules spécifiques inspirés des méthodes d’entraînement d’Evenepoel.

Au niveau international, cette victoire a également contribué à la restructuration des calendriers des équipes, qui adaptent désormais leurs programmes pour inclure des stages spécifiques au contre-la-montre, suivant l’exemple de Quick-Step.

De la Vuelta aux jeux olympiques : la confirmation d’un champion d’exception

La suite a confirmé que cette Vuelta n’était que le début d’une carrière exceptionnelle. En 2023, Evenepoel remporte le championnat du monde sur route, confirmant sa polyvalence. En 2024, il entre définitivement dans la légende en décrochant deux médailles d’or aux Jeux Olympiques de Paris (contre-la-montre et course en ligne).

« Cette Vuelta était spéciale pour moi, ma dernière », confiait Alejandro Valverde après l’arrivée à Madrid en 2022. « Voir Remco gagner me rappelle pourquoi j’aime ce sport – la passion des nouvelles légendes qui émergent. Je pars avec le sentiment que le cyclisme est entre de bonnes mains. »

Les mots du vétéran espagnol résonnent aujourd’hui comme prophétiques. En remportant la Vuelta 2022, Remco Evenepoel n’a pas seulement mis fin à 44 ans d’attente belge – il a inauguré une nouvelle ère cycliste où les frontières entre spécialités s’estompent au profit de champions complets, capables de briller sur tous les terrains.

Le cyclisme belge, après des décennies de spécialisation dans les classiques, a retrouvé sa place au sommet des grands tours. Et ce n’est probablement que le début d’une nouvelle page glorieuse de son histoire.

Pour comprendre la magnitude de cet exploit, il faut le replacer dans la riche histoire du cyclisme. Tout comme le duel légendaire entre Anquetil et Poulidor sur le Puy de Dôme en 1964 avait défini une génération, la victoire d’Evenepoel marque un tournant pour le cyclisme belge et mondial.

À l’image de Freddy Maertens qui avait réalisé une résurrection spectaculaire sur le Tour 1981, Evenepoel a su se relever d’une terrible chute pour atteindre les sommets. Sa trajectoire s’inscrit dans la lignée directe de ces pionniers qui ont façonné le cyclisme moderne, prouvant que les grandes histoires de ce sport continuent de s’écrire sous nos yeux.

Thibault
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