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Certains cols se montent pour cocher une case. Le col de la Bonette se monte pour se souvenir toute sa vie. Trente kilomètres de montée presque sans interruption, 1 600 mètres de dénivelé, un sommet à 2 802 mètres d’altitude. Et puis cette descente, celle qui donne envie de remonter juste pour la revivre encore.
J’ai roulé ce col fin septembre, juste avant la fermeture hivernale. Voici ce qui se passe vraiment là-haut, entre le premier virage et le moment où vous comprenez pourquoi les cyclistes en parlent les yeux brillants.
🌅 Départ à l’aube : Saint-Étienne-de-Tinée encore endormi
Tout commence dans le silence frais du matin, à Saint-Étienne-de-Tinée. L’air sent la résine et la pierre humide. Le panneau « Col de la Bonette – 30 km » impressionne immédiatement. Pas de chrono aujourd’hui. Juste l’envie de grimper tranquillement vers le toit des Alpes françaises.
Les premiers kilomètres serpentent dans les forêts de mélèzes qui commencent à jaunir. La pente tourne autour de 6%, régulière, presque agréable. Le cliquetis de la transmission se mêle au silence automnal. Pas de circulation, pas de bruit de moteur. Le col se gagne seul, à son rythme.
Peu à peu, la vallée s’élargit. Le décor se vide. Les arbres cèdent la place aux pelouses d’altitude teintées d’ocre. Les sommets apparaissent au loin, d’abord timides, puis massifs. Le corps trouve son équilibre : respiration ample, jambes qui tournent, esprit qui décroche.
🏔️ Vers 2 000 mètres : quand le monde disparaît
Vers la moitié de la montée, le paysage bascule brutalement. La végétation disparaît presque. Les couleurs virent au beige, au gris, au noir minéral. C’est le domaine du vent, du silence absolu et de la lumière crue. On comprend pourquoi la Bonette est décrite comme « une route vers la lune ».
Chaque virage dévoile une perspective nouvelle : vallées profondes qui plongent à pic, pics aux formes déchiquetées, plaques de neige qui ne fondent jamais. Le souffle se fait court, l’air se raréfie, mais l’envie d’aller voir « là-haut » prend le dessus sur la fatigue.
À mesure que la route s’élève, on quitte définitivement le monde habité. Le compteur affiche 2 400, 2 600, 2 700 mètres. Les oreilles se bouchent, la température chute de 10 degrés, le vent gifle le visage. Mais impossible de s’arrêter. Le sommet appelle.
⛰️ Le dernier kilomètre : brutal et grandiose
Le dernier kilomètre vers la Cime de la Bonette devient cruel. Rampe à 10%, face au vent, avec l’impression d’arriver sur une autre planète. Les jambes brûlent, les poumons cherchent l’air qui se raréfie. Mais le décor compense tout.
À droite, le vide s’ouvre sur des centaines de mètres. À gauche, les rochers noirs tranchent avec le ciel bleu profond de septembre. Chaque coup de pédale devient une victoire minuscule. Et puis soudain, le panneau : 2 802 mètres. La plus haute route d’Europe.
🌍 Au sommet : un silence qui résonne
Arriver à la Cime de la Bonette, c’est poser le pied dans un décor minéral presque silencieux. Devant soi, un panorama à 360° sur les Alpes du Sud et le Mercantour. Les vallées s’étirent à perte de vue. On distingue à peine les villages minuscules au fond des gorges.
Je m’assois sur une pierre, casque encore sur la tête, et regarde en contrebas la route que je viens de gravir. Elle semble irréelle, comme tracée à la main sur la montagne. La lumière rasante du matin d’automne transforme chaque rocher en or cuivré. On se sent minuscule, mais pleinement vivant.
Aucune buvette, aucun panneau publicitaire. Juste le vent, les pierres, et cette sensation rare d’avoir atteint quelque chose d’essentiel.
💨 La descente : 25 kilomètres de pur plaisir
Puis vient le moment magique : basculer vers Jausiers, côté nord. La descente devient une symphonie de virages parfaits. L’asphalte est impeccable, le tracé fluide, les points de vue vertigineux. Chaque épingle dévoile un nouveau panorama : glaciers, gorges, torrents, prairies suspendues.
Le vent siffle dans le casque, le vélo danse dans les courbes. La sensation de vitesse se mêle à celle de liberté absolue. Après 30 km de montée, tout devient simple, naturel. Pas besoin d’effort, juste se laisser glisser. Les bras se détendent, les jambes relâchent la pression.
C’est la récompense absolue du grimpeur. Cette descente justifie à elle seule les 1 600 mètres de dénivelé avalés dans la matinée.
🗺️ Infos pratiques avant de partir
Caractéristiques de l’ascension :
- Distance : 30 km depuis Saint-Étienne-de-Tinée
- Dénivelé : 1 600 mètres cumulés
- Altitude maximale : 2 802 mètres à la Cime
- Pente moyenne : 6%, avec passages à 10% dans le dernier kilomètre
- Temps moyen : 2h30 à 3h30 selon le niveau
Conseils essentiels :
- Période idéale : juin à septembre (fermeture hivernale dès octobre)
- Départ recommandé : avant 8h pour profiter de la lumière dorée et du calme
- Équipement obligatoire : coupe-vent, gilet, gants légers (10°C de différence entre bas et haut)
- Ravitaillement : emportez eau et barres énergétiques, aucun point de vente au sommet
- État de la route : vérifiez avant de partir, la neige peut surprendre dès fin septembre
🌟 Ce col ne se coche pas, il se vit pour toujours
La Bonette n’est pas seulement un défi physique. C’est une expérience totale : visuelle, sensorielle, presque spirituelle. Le silence là-haut résonne différemment. Les couleurs d’automne amplifient la beauté minérale. La descente efface toute la fatigue accumulée.
Certains cols se montent pour cocher une case sur une liste. Celui-ci se monte pour se souvenir. Si vous ne deviez en faire qu’un dans votre vie de cycliste, ce serait celui-là. La Bonette n’est pas un col comme les autres. C’est une route vers le ciel, une parenthèse suspendue entre terre et nuages.










Très belle description de ce col effectivement à part. Monté une fois côté Jausiers, la lecture de l’ article donne vraiment envie d’ aller le monter de l’ autre versant !
Merci pour ce joli texte 👍
merci pour ce magnifique commentaire qui donne envie de regravir sa Majesté la Bonette. Des sensations à vivre malgré la difficulté. La beauté de ce col efface les souffrance et nous laisse des souvenirs inoubliables.
Marithé
Chapeau pour l’exploit sportif de haut niveau et cette belle narration qu’on lit comme une poésie. Ça donne envie d’y aller. Mais comment revenir de Jausiers au point de départ si on est seul ?
A suivre